Monastère des dominicaines de Lourdes

L'Assomption de la Vierge Marie

Lecture

Les onze disciples se rendirent en Galilée vers la montagne que Jésus leur avait désignée, et le voyant ils se prosternèrent, mais ils doutèrent. Et Jésus, s’approchant, leur parla, disant : « Toute puissance m’a été donnée dans le ciel et sur la terre. Allez donc, faites des disciples de toutes les nations, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, leur enseignant à pratiquer tout ce que je vous ai commandé. Et voici que moi je suis avec vous tous les jours jusqu’à la consommation du siècle » (Mt 28, 16-20).

Méditation

Adoration et doute

Nous rejoignons les onze disciples en Galilée, là où Jésus avait appelé les douze… Judas n’est plus là. Ils sont venus pour répondre au message du Seigneur transmis par les femmes : « Allez annoncer à mes frères d’aller dans la Galilée et là ils me verront » (Mt 28, 10).
Jésus était donc au rendez-vous sur une montagne ; il y attendait ses disciples. En le voyant, ils se prosternent et l’adorent… et pourtant ils doutent : Matthieu place le doute après l’adoration. Mais n’est-ce pas incohérent de dire que les disciples doutent alors qu’ils viennent de reconnaître leur Seigneur ? Le texte serait-il à corriger, comme le font habituellement les traducteurs ? Ce n’est pas sûr. Il vaut peut-être mieux essayer de le comprendre tel qu’il est.
Il y avait une réelle difficulté pour les apôtres. Ils reconnaissent le Seigneur : celui qui est devant eux est bien, sans aucun doute possible, celui avec qui ils ont vécu pendant trois ans ; l’amour le leur fait reconnaître. Et pourtant… ce n’est plus le même : ils sont désorientés, au cœur même de la joie donnée par la présence. Luc, qui donne plus de détails sur les apparitions pascales, explicite les causes du doute. Alors que Pierre a vu le ressuscité, alors que les Onze viennent de confesser la résurrection du Seigneur devant les pèlerins d’Emmaüs (Lc 24, 37) et sont encore en train d’en parler (ibid. 34), tous doutent en voyant le Seigneur ressuscité qui se rend présent au milieu d’eux. Pourquoi doutent-ils ? Au cœur de l’absence et de la recherche, une présence tout à coup s’impose, mais cette présence n’est pas exactement celle qui était attendue. Elle n’est plus celle dont ils avaient l’habitude, ni celle qui s’est déjà manifestée. L’humanité de Jésus est-elle bien réelle ? C’est seulement lorsqu’il mange devant eux qu’ils croient qu’il est vraiment là, en chair et en os. Luc note un autre obstacle à leur foi : la joie. Leur joie est trop grande pour que cela puisse être vrai ! Ne rêveraient-ils pas ?
Mais c’est peut-être une parole dite par Jésus dans le discours après la Cène qui permet le mieux de comprendre leur doute. Jésus avait dit : « Je viens vers vous » (Jn 14, 18) : il est toujours en train de venir, et sa venue est toujours nouvelle. Elle n’est pas sans lien avec les venues précédentes, et pourtant elle déconcerte par ce qu’elle a de neuf. La présence pascale, en effet, est une apparition, non la vision face à face dans une totale lumière. Les disciples ne peuvent pas, pour l’instant, voir le Seigneur tel qu’il est, dans toute sa gloire.

La présence de Jésus

Les apôtres, les Douze, sont les premiers disciples du Christ et ils sont envoyés pour faire à leur tour des disciples. Matthieu leur donne ici le nom de « disciples » comme il le fait la plupart du temps dans son évangile (Mt 10, 1.24-25 ; 11, 1 ; 12, 1-2.49). Est disciple celui qui écoute l’enseignement d’un maître.
Cela, les Douze l’ont fait de façon publique. Ils ont été appelés par Jésus pour demeurer avec lui dans une relation d’intimité, une relation très personnelle. Ils vivaient avec lui et ils écoutaient sa parole dans la communauté qu’ils formaient autour de lui. Et spontanément ils agissaient comme leur maître, ils parlaient comme lui. Parfois même Jésus les envoyait en mission à sa place.
Leur référence au Christ avait ainsi un support très concret : ils ont vu ses gestes, ils ont entendu ses paroles, ils l’ont touché de leurs mains (cf. 1 Jn 1, 1). Être disciple découlait de leur contact avec la présence physique du Christ à leurs côtés. Ils s’étaient mis à sa suite au sens propre : ils avaient mis leurs pas dans les siens, sur les routes de Galilée et de Judée.
Jésus ressuscité leur dit en quelque sorte : « Je suis passé par la croix et désormais la relation familière que j’avais avec vous a pris fin. Vous ne pouvez plus me retenir près de vous. Vous avez quitté père et mère et tous vos biens pour vous attacher à moi (cf. Mt 19, 27-29), pour me suivre sur les routes de Galilée et vous mettre à mon école. Mais désormais, pour me rencontrer, vous n’aurez pas à chercher ma présence physique, car je monte vers mon Père (Jn 20, 17).
« “Allez, faites des disciples de toutes les nations”. Allez porter à tout homme, aux quatre coins du monde, l’amour que vous me portez. Partout où vous irez, faites ce que je faisais ; c’est moi qui vivrai en vous et qui agirai à travers vous. Car l’Esprit intériorisera en vous ma présence ; je vivrai alors en vous le plus profond de ce que j’ai vécu quand j’étais parmi vous : mon union indéfectible au Père. Souvenez-vous : mes paroles et mes actes renvoyaient au Père et vous ont appris à le connaître. Maintenant, c’est vous qui serez les témoins de ce lien avec le Père qui sera l’essentiel de votre vie.
« “Baptisez [tous les hommes] au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit”, réconciliez-les dans le sang que j’ai versé sur la croix. Faites-les entrer ainsi dans ce lien au Père qui vous unit à moi et qui les unira à vous en moi. Que tous deviennent mes frères et vos frères. C’est dans cette fraternité d’hommes et de femmes réconciliés, que je viens à vous désormais. Ne doutez plus.
« “Je suis avec vous jusqu’à la fin du temps”. Désormais c’est la communauté qui tiendra la place que j’ai tenue auprès de vous pendant trois ans. Je vous ai dit : “Qui m’a vu a vu le Père” (Jn 14, 9) ; maintenant je vous dis : Qui verra la communauté des frères, me verra. La fraternité, la koinônía (Ac 4, 32-35), sera désormais pour vous mon seul visage. Ne me cherchez pas ailleurs. Si l’on vous dit : il est ici, il est là (cf. Mt 24, 23.26), n’y allez pas, vous feriez fausse route.
« “Faites des disciples de toutes les nations”. Qui vous écoutera, m’écoutera (cf. Lc 10, 16) et deviendra mon disciple. Je serai corporellement absent, mais tous pourront puiser et boire à la source d’eau vive de mes paroles en puisant aux paroles qui sortiront de votre bouche. Quant à vous, apprenez-leur à mettre ces paroles en pratique pour être libérés du péché, pour avoir la Vie. »

Conversion à la vie nouvelle

Être disciple du Seigneur, c’est être totalement à l’écoute de sa parole pour l’annoncer, et avant tout pour la mettre en pratique. Ce faisant, l’on se met à sa suite. Cette attitude caractérise ceux qui, par le baptême, entrent dans la communauté rassemblée par le Ressuscité.
La Parole de Jésus, ils l’entendent par la parole des apôtres. Elle leur donne des prescriptions à accomplir : on en trouve dans le sermon sur la montagne (Mt 5-7), dans le discours ecclésiastique (Mt 18), et tout au long de l’évangile. Mais toutes se résument dans le commandement de la charité jumelle : aimer Dieu, aimer le prochain (Mt 22, 34-40).
Le propre du disciple est donc de se mettre à l’écoute de la parole du Maître pour la mettre en pratique. Ainsi a fait saint Dominique : « Il écoutait la vérité humblement, il l’embrassait doucement d’une sainte affection, il la retenait fidèlement dans sa mémoire, et il la mettait efficacement en pratique  ». Mettre en pratique ce que le Seigneur a commandé, c’est le chemin de la liberté. Voilà de quoi nous surprendre aujourd’hui ! Nous établissons difficilement un lien entre commandements et liberté…
Nous oublions que les commandements du Seigneur sont des provisions pour la traversée de notre désert ; ou encore une boussole sur notre terre d’exil pour parvenir à la patrie. Ils sont un ferment de vie nouvelle et c’est l’Esprit qui nous donne de les aimer. Ce qui faisait dire à Augustin, à la suite du psalmiste : « “Et je méditais sur tes commandements, que j’ai aimés ; et j’ai élevé les mains vers tes commandements, objet de ma dilection” (Ps 118, 47-48) [...]. Le prophète a donc aimé les commandements de Dieu par cette grâce qui le faisait marcher au large, c’est-à-dire l’Esprit Saint, qui répand la charité dans les cœurs des fidèles et les dilate.  »
Pratiquer les commandements est un don de la grâce. C’est le Seigneur, en effet, qui nous donne d’être attirés par eux, d’y trouver notre délectation. Et nous sommes ainsi délivrés des attraits mauvais et donc de la servitude du péché. Pratiquer les commandements est un chemin de conversion, de libération et de liberté. Obéir avec joie, avec amour, à la loi d’amour du Seigneur, c’est le servir ; et cette attitude rend libre. Augustin disait à ses fidèles : « La liberté nous vient de ce que nous trouvons du plaisir dans la loi de Dieu, car la liberté est chose agréable : tant que tu observes, par crainte, les règles de la justice, Dieu ne fait pas tes délices ; tant que tu agis comme esclave, tu n’éprouves aucun charme ; dès que la joie du Seigneur entre dans ton âme, tu es libre  ». La liberté, fruit de la Pâque du Seigneur, va donc toujours de pair avec une obéissance joyeuse et libre à sa Parole.
Nous pouvons alors comprendre pourquoi l’Ecriture contient de si nombreux préceptes de style impératif : des commandements. Notre conversion est un don, mais elle dépend aussi de nous. Nous entrons librement dans la Pâque du Seigneur en observant ses commandements par amour.

 

Prière

Invoquons Marie, Protectrice des familles. Qu’elle les aide à servir le Seigneur dans une joyeuse obéissance à sa Parole.

 

Contemplation

Réjouis-toi, Marie, comblée de grâce,
le Seigneur est avec toi,
tu es bénie entre toutes les femmes
et béni le fruit de ton sein,
Jésus,
- qui apparut à ses disciples sur la montagne
- que les apôtres ont eu du mal à reconnaître
- qui appelle tous les hommes à devenir disciples
- qui, par le baptême, nous fait entrer dans la vie divine
- qui, par sa Pâque, nous a libérés du péché
- qui nous a donné sa loi d’amour
- qui attend de nous une obéissance libre et joyeuse
- dont l’Eglise reflète le visage de gloire
- présent dans son Eglise jusqu’à la fin du monde
- que nous contemplons sur le visage de nos frères
Sainte Marie, Mère de Dieu,
prie pour nous, pauvres pécheurs,
maintenant et à l’heure de notre mort
AMEN.


Thierry d’Apolda, Livre sur la vie et la mort de saint Dominique,  nos 17-18.

Augustin, En. in Ps. 118, s. 14, 4.

Ibid., Tract. in Io. Ev. 41, 10.

 

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